2. Incarner son discours
Incarner son discours, c’est lui donner un caractère particulier en le personnalisant véritablement. C’est le contraire de généraliser, de banaliser. Ce n’est pas l’histoire d’un autre. C’est ton histoire, ton vécu, ton opinion. En livrant une partie de ton être, tu montres ta confiance en l’auditoire. Et en retour, tu as de grandes chances qu’il t’accorde la sienne. Ainsi se met en place la précieuse connexion.
Personnalise ton discours en commençant par « Je ». Cela te donnera à la fois un ancrage, une densité et une accessibilité qui facilite grandement la connexion avec le public. De cette façon, il te sera plus facile de donner à chaque auditeur la sensation que tu lui parles, à lui, personnellement. La conversation amicale, voire intime, prendra le pas sur la conférence formelle. Le « je » fait de toi quelqu’un qui assume ses paroles et ses actes, quelqu’un de responsable qui inspire confiance. Cela à condition, bien sûr, de ne pas verser ostentatoirement dans le « je » égocentrique ou manipulateur.
Parle à chacun plutôt qu’à tous.
Après vingt-sept années passées en prison, l’ex-prisonnier n° 46 664, Nelson Mandela, commence son premier discours ainsi : « Je suis venu devant vous, non pas comme un prophète, mais comme un humble serviteur. » Il est clair qu’en prenant la parole à partir de cette position, le futur président de la nation arc-en-ciel incarne son propos et tisse avec son auditoire, avec son peuple, un lien viscéral. Il fixe d’emblée la nature de la relation qu’il propose. L’humilité de son « je » frappe dès le début de son allocution. Grâce à cette introduction empreinte de paix et de sobriété, Nelson Mandela se connecte immédiatement à son public. De même, c’est en parlant à la première personne que Jean Jaurès établit la connexion dans le discours qui suit.
📌 Exemple
« Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la parole. Ah ! Citoyens, je ne veux pas forcer les couleurs sombres du tableau, je ne veux pas dire que la rupture diplomatique dont nous avons eu la nouvelle il y a une demi-heure, entre l’Autriche et la Serbie, signifie nécessairement qu’une guerre va éclater, et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l’Autriche le conflit s’étendra nécessairement au reste de l’Europe […] »
Jean Jaurès, Vaise (France), 25 juillet 1914, 1 580 mots.
📜 Lire le texte intégral.
Jean Jaurès, Vaise (France), 25 juillet 1914, 1 580 mots.
📜 Lire le texte intégral.
À quelques jours d’une guerre qu’il pense inévitable, Jean Jaurès assume, grâce au « je » qui entame son discours, son opinion pessimiste. Cette formule lui permet d’établir la connexion avec un public prêt à écouter la vision personnelle qu’il souhaite partager.
🎓 Cas d’école n° 9
Pour ce discours, le projet Toastmasters était de faire l’éloge de quelqu’un. C’est un exercice de style très intéressant de mettre en lumière durant cinq à sept minutes certains des aspects positifs de la vie de quelqu’un. Mon choix s’est porté sur Krishnamurti, car la lecture de cette immense figure spirituelle du XXe siècle (Se libérer du connu, La révolution du silence, La flamme de l’attention, etc.) a profondément changé ma vie.
Dès l’enfance, j’ai été attiré par la spiritualité. J’ai lu la Bible… entièrement, de la Genèse à l’Apocalypse. J’ai fait ma première communion. Mais ça ne répondait pas à ma quête. J’ai alors interrogé le bouddhisme, mais je suis resté frustré. Et puis j’ai lu Krishnamurti. Une révélation ! Grâce à lui, j’ai découvert que la spiritualité n’est pas le monopole des religions organisées. J’ai découvert qu’il est possible de vivre une vie spirituelle libre du poids des dogmes et des rituels.
Toute l’ouverture est prononcée à la première personne du singulier, tandis que la suite du discours, consacrée à l’éloge de Krishnamurti est déroulée, naturellement, à la troisième personne. C’est ce « je » qu’affiche l’orateur qui donne un caractère confidentiel au propos. J’ai choisi ici volontairement cette technique d’ouverture pour marquer la profondeur de la relation que j’ai avec un orateur que je n’ai pas connu personnellement. Car dans la suite du discours, je ne vais pas seulement faire l’éloge de Krishnamurti ; je vais témoigner de son immense apport dans ma vie, je vais expliquer à quel point il m’a éclairé sur des questions existentielles.
Notes
- Krishnamurti, Se libérer du connu, Le Livre de Poche, 1995.
- Krishnamurti, La révolution du silence, Le Livre de Poche, 1995.
- Krishnamurti, La flamme de l’attention, Seuil, 2000.
Notes
- Discours du 11 février 1990 depuis le balcon de l’hôtel de ville à Cape Town (Afrique du Sud).
➡️ Pages suivantes
👇 Continuez à naviguer dans l’ouvrage en cliquant ci-dessous
