La Ressourcerie
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2. Révéler un paradoxe
Dans le même registre, révéler un paradoxe est un bon moyen d’accrocher. Un paradoxe est une affirmation étonnante qui contredit les idées reçues, les préjugés ou les opinions couramment admises. Il s’agit de prendre les croyances à revers, de faire vaciller les certitudes. Paradoxer, c’est faire une proposition en contradiction avec toute vraisemblance, opposer théorie et pratique, convictions et observations, rumeurs et faits.
Par la révélation d’un paradoxe, tu offres à ton auditeur une vision, un angle qu’il n’avait jamais imaginé. En commençant de cette manière, tu lui démontres que tu es en mesure de lui proposer de nouvelles perspectives et d’enrichir sa réflexion. Cela ne peut qu’intéresser les esprits curieux. Avancer à contre-courant de l’opinion générale, prendre le contrepied de l’idée dominante est une excellente manière d’attirer l’attention.
Étonne en détonnant !
« Dans l’univers, le vide règne en maître. D’un corps céleste à l’autre, il n’y a que du vide. Le siège sur lequel vous êtes assis en ce moment vous paraît réel, solide, concret. Pourtant, tout comme l’univers, il contient plus de vide que de matière. » C’est un paradoxe, car si nous n’en avons pas été informés, nous sommes tous enclins à penser que tout objet palpable n’est que matière. L’orateur aurait pu dire plus frontalement : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout objet est constitué de plus de vide que de matière. » Une telle déclaration amène l’auditeur à porter un regard différent sur ce qui lui est familier. Il ne verra plus jamais ce qui l’entoure de la même manière : la table à laquelle il mange tous les jours, le stylo avec lequel il écrit, les vêtements dont il s’habille. Voilà donc un moyen efficace d’attirer son attention pour aborder une conférence ayant pour thème, par exemple, l’illusion sur laquelle est basé notre monde.
📌 Exemple
« Jamais je n’aurais imaginé que ma première rencontre depuis 1974 avec votre auguste assemblée aurait lieu dans cette bonne et hospitalière ville de Genève. Je pensais que les acquis et les nouvelles positions politiques auxquelles est parvenu notre peuple palestinien lors de la tenue du Conseil National, à Alger, qui ont toutes reçu un accueil international très favorable, m’obligeraient sans nul doute à me rendre à New York, au siège de l’Organisation Internationale. »
Yasser Arafat, Genève (Suisse), 13 décembre 1988, 90 minutes.
📜 Lire le texte intégral.
Yasser Arafat, Genève (Suisse), 13 décembre 1988, 90 minutes.
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Yasser Arafat aurait dû logiquement prononcer ce discours de proclamation de l’État Palestinien au siège de l’ONU à New York. Mais en raison de la première intifada, l’accès au territoire américain lui est interdit. C’est par ce paradoxe que Yasser Arafat décide de débuter son discours pour accrocher son auditoire.
🎓 Cas d’école n° 2
Pour ce discours de sept à neuf minutes, le projet était de narrer un récit historique. J’ai posé mon choix sur un épisode de la Deuxième Guerre mondiale au cours duquel Hitler échappe miraculeusement, grâce à un improbable concours de circonstances, à un attentat dirigé par le Colonel allemand Claus von Stauffenberg dont le but était de pouvoir négocier ensuite les conditions d’une reddition avec les Alliés. L’histoire est racontée dans un film de Bryan Singer avec Tom Cruise dans le rôle principal.
Lorsque j’étais en classe de 3e, l’un de mes professeurs me fascinait : Monsieur Mercier, mon professeur d’allemand. Je n’ai jamais connu son vrai nom. Mercier était son nom de résistant. Je l’entends encore parler avec son drôle d’accent bavarois. Oui, Monsieur Mercier était allemand. Un Allemand dans la Résistance française ! Vous imaginez ? Considéré comme traître par ses compatriotes, suspect pour ses frères d’armes, il lui en avait fallu de la détermination pour s’opposer aux nazis. Monsieur Mercier était vraiment un piètre professeur, une catastrophe… Mais c’était un orateur hors pair doublé d’un merveilleux conteur. À chaque cours, nous le suppliions de nous raconter des histoires de Résistance. C’était bien plus pour le bonheur de goûter ses anecdotes rocambolesques que pour échapper à son ennuyeux cours de langue. Lorsqu’il protestait sous prétexte d’avancer dans le programme, nous chahutions jusqu’à ce qu’il craque. Un jour que nous avions chahuté plus que de coutume, il nous raconta… l’Opération Walkyrie.
Ici, le paradoxe ressort du fait de trouver parmi les résistants français un ressortissant allemand. Qui pourrait s’attendre à une telle situation ? Le paradoxe accroche l’auditoire et lui donne envie d’écouter l’histoire qui suit, sachant de plus qu’elle vient d’une personne dont j’ai vanté avec dithyrambe les qualités oratoires. Comme dans le conte des mille et une nuits, il s’agit d’une histoire à tiroirs : je raconte l’histoire de quelqu’un qui raconte une histoire.
Notes
- Bryan Singer, Walkyrie, 2009, 1h50.
- Le nom a été changé.
Notes
- « On entend par paradoxal ce qui est contraire à l’opinion commune. » Quintilien, Institution oratoire, livre IV, chap. I.
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